Cette jeune femme qui a grandi dans la cité Saint-Joseph à Apt devenue journaliste, publie aujourd’hui ce témoignage, écrit au cœur du confinement du printemps 2020, charge lucide et révoltée contre un double confinement et une confiscation.
L’auteure, une « banlieusarde de la campagne », peint à merveille la « capitale du fruit confit », enclavée de la France périphérique délaissée, où tout est lent, loin des centres d’intérêts. Elle fut naguère la « capitale de son ennui », sa cité un éternel ghetto laid, où la seule activité gratuite des gosses était de « jouer dehors », bref un confinement avant l’heure. Arrivée à Apt à l’âge de 3 ans, elle loge d’abord avec sa mère et sa grand-mère dans le centre-ville, avant que son père, marocain exilé tardivement en France, puisse les rejoindre et que la famille accède à un logement dans la cité, où elle dispose, rare privilège, d’avoir « une chambre à elle ». Son père est maçon, sa mère femme de ménage : leurs mains et leurs corps en portent les stigmates et de cela, elle prend conscience très vite. Elle ressent le sentiment d’infériorité vécu par sa mère car les patrons fortunés « usaient son corps pour épargner les leurs » dans leurs belles villas.
A force de lectures, aidée par ses parents qui ne ménagent pas leurs heures, encouragée par de trop rares enseignantes, elle réussit à ouvrir le carcan de son assignation au rôle de « beurette » (ne lui dites jamais ce mot, elle le hait), elle obtient un bac en 2012, puis intègre une classe prépa à Avignon, où elle endosse des cols Claudine pour se fondre (ah ! ces codes vestimentaires !). Elle réussit son entrée à Sciences Po à Grenoble, et décroche enfin le graal, Sciences Po Paris. Elle a ouvert une brèche dans l’ordre social mais ressent profondément l’« illégimité » que lui renvoient ses co disciples : car le racisme et le sexisme existent aussi dans ces milieux-là.
Lorsque la pandémie arrive et le confinement généralisé avec, elle se réfugie dans cette cité où elle ne sent plus « enfermée car elle n’est plus son quotidien », et redevient cependant l’adolescente cloisonnée dans sa chambre. Mais il y confinement et confinement…Certains, des « CSP + », arrivent pour se mettre au vert dans leurs maisons de luxe ; ceux-là peuvent télétravailler. Pas son père, qui, blessé, fait une nouvelle fois l’expérience de la barrière du langage, lui qui se sait pas écrire sa propre adresse et compte toujours en dirhams, désemparé lorsqu’il parle français. Après quelques semaines, l’auteure sort : Apt est désert mais le parking du centre commercial bondé. Les clients n’ont pas encore de masque ; les caissières se tiennent derrière une vitre de plexiglas (elle connait leur travail, si dur, rarement allégé par quelques civilités) ; au drive, les commandes affluent, les employés doivent faire face et leurs journées sont longues et épouvantes. Elle regagne ensuite Paris où se juxtaposent des groupes sociaux très divers.
Elle dit avoir découvert qu’elle appartenait aux classes populaires lorsqu’elle est entrée dans la classe dominante. Pour autant, elle, ce « bug dans la matrice », ressent le déchirement des rares « transfuges » qui naviguent entre deux mondes, acceptent les missions pour lesquelles ils sont surqualifiés car pour eux, le temps presse, mesure la fragilité des réussites souvent confisquées. Elle comprend la colère « rugueuse » des délaissés, des écorchés auxquels elle dédie son livre, « ceux que la France n’a jamais voulu regarder »….Et bien d’autres choses que nous avons hâte de l’entendre nous dire à la MJC qui a pu un peu éclairer son adolescence, quand elle y prenait des cours de théâtre et de hip hop !
Eleinad