Le jour où Nina Simone a cessé de chanter

Le jour où Nina Simone a cessé de chanter

De Darina Al-Joundi et Mohamed Kacimi

 

Le mardi, 4 août 2020, une gigantesque explosion détruisait le port de Beyrouth et une partie de la capitale s’ajoutant à la crise économique dramatique que connaissait déjà le Liban.

Ce qui apparait le plus, pour beaucoup de Libanais, c’est que cette explosion et la crise économique expriment la faillite du système politique confessionnel dont la corruption et le clientélisme sont les moteurs.

En effet, depuis octobre 2019, le Liban connaît une mobilisation de la population sans précédent  contre la corruption, le système confessionnel…

Dans Beyrouth dévastée, au milieu de la tragédie que connaît, une nouvelle fois, ce pays, on mesure le chemin parcouru depuis la parution  du livre de Darina Al-Joundi et Mohamed Kacimi : aux crispations confessionnelles a succédé le mot d’ordre populaire « nous sommes un seul et même peuple ».

 

Mais qu’est-ce ce livre ?

Ce fut, tout d’abord, une pièce de théâtre qui connut un immense succès au Festival d’Avignon en 2007.

De ce succès est né le livre, vie-roman de Darina Al Joundi. Cette dernière y déroule le récit de sa vie, au Liban, à Mohamed Kacimi qui écrit.

Le titre du livre étonne. Mais c’est que tout le livre est habité par la forte personnalité du père, journaliste et écrivain célèbre d’origine syrienne.

Quel rapport, me direz-vous ?

C’est que tout commence, en effet,  par la mort de ce père qui, tout en étant musulman, est violemment antireligieux et laïc convaincu : « mes filles, tant que je serai en vie, je ne veux voir aucune de vous lever le cul en l’air pour faire la prière et encore moins s’affamer pour le ramadan »

 

Fidèle à sa mémoire, tandis qu’elle veille son corps, des sourates du Coran s’élèvent ; furieuse elle s’empare du radiocassette, en coupe le son et met à la place le Save me de Nina Simone.

Commence alors le récif d’une vie tragique qui est aussi celle de millions de Libanais. Car ce livre parle, d’abord, de la grande histoire, celle de la guerre, au détour de la vie de chaque jour pour tout et un chacun.

Mieux qu’un documentaire, qu’une analyse historique, il nous fait découvrir la violence des combats, des massacres entre confessions religieuses, l’invasion syrienne, puis israélienne, bref l’horreur quotidienne.

Horreur tellement banale que, dans Beyrouth dévastée, la vie n’a plus de prix, plus de sens.

On côtoie la mort chaque jour et pour la fuir, pour oublier la folie elle-même : dans Beyrouth dévastée, on joue même à la roulette russe.

C’est une descente aux enfers que nous décrit, sans pudeur aucune ? Darina Al Joundi.

Ce livre est aussi un hymne à la liberté la plus totale. Darina Al Joundi est là, aussi, fidèle au père, cet inlassable combattant qui n’hésita pas à rejoindre les maquis palestiniens, puis paya de la prison l’attachement à ses convictions, tantôt à Bagdad, tantôt à Damas ou ailleurs, dans ce Proche et Moyen Orient dont les régimes démocratiques sont fort connus.

« Je veux que vous soyez des filles libres » avait déclaré son père. Elle le fut jusqu’à l’excès.

 

Et le moindre des paradoxes n’est-il pas que la fin de la guerre ne signifie rien d’autre que le fait qu’à la violence de cette dernière succède celle des crispations confessionnelles, le retour à l’intolérance religieuse : une autre façon de tuer les rebelles, particulièrement les femmes auxquelles on interdit la parole.

Son geste, à la mort de son père, lui valut d’être internée comme folle. Pour fuir l’intolérance, il lui faudra fuir à Paris.

 

Un livre témoignage fort, impudique, cru, bruissant de fureur, beau de vérité et lumineux.

 

Ame sensible ou précieuse, pour ne pas dire plus, s’abstenir.

 

 

                       Jean-Luc