Poèmes de la bombe atomique, de Tôge Sankichi

Il est des livres qui se lisent comme la Bible, la Thora, le Coran…pour les croyants.

Religieusement, avec respect et émotion.

Poèmes de la bombe atomique est de ceux-là.

 

L’auteur, Tôge Sankichi est un Hibakusha, c’est à dire un irradié de l’explosion de la bombe atomique du 6 août 1945 à Hiroshima.

Ses poèmes, écrits de 1949 à 1951, sont passés inaperçus lors de leur publication en France, fin 2008, alors qu’ils sont traduits de longue date partout ailleurs. Comment comprendre ?

 

D’autant qu’ils sont admirables : ils constituent une charge explosive, une déflagration dont le lecteur ne sort pas indemne.

 

Leur thème, Hiroshima, ne saurait suffire à expliquer la charge émotive ressentie à leur lecture. Il y a, en effet, la forme poétique, en rupture avec les fameux Haikus.

Rupture nécessaire pour faire corps avec la désintégration des corps, de l’esprit : le vers est libre, parfois espacé. Pour faire écho aux ruines, pour marquer le silence tombé sur Hiroshima ?

 

 

Après les multiples récits, l’histoire, le savoir universel, « à quoi bon des poèmes ? » s’interroge Claude Mouchard dans sa longue et érudite préface qui vient en éclairage du recueil.

« Il revient aux vers de faire revenir des instants qui étaient restés inintégrables à toute perception ou mémoire ordinaire. »

 

D’où la conception de l’ouvrage : les poèmes encadrent un texte en prose Chroniques de l’entrepôt.

Ces vers, renforçant ainsi le témoignage, disent l’indicible.

L’horreur qui se niche dans un détail :

 

« Il ne faut pas mourir !

Vieille mère

Il ne faut pas partir comme ça

[…]

hier quelqu’un au bureau

a apporté

Cette dent de devant à couronne

d’or

exhumée juste à l’endroit 

où se trouvait la chaise de votre fils

[…]

 

L’horreur qui bruit du silence (qui est aussi celui de l’occupation américaine où règne la censure…)  et

qui se meut en haine, en révolte, lorsque les Américains menacent d’utiliser à nouveau la bombe en Corée (ce qui explique l’urgence ressentie par Tôge Sankichi de témoigner).

 

« après ce temps condensé

explosé

rien que haine incandescente

se répondant palpitante

Un silence sans rime

s’accumule dans l’espace »

 

Toute cette cette horreur, pourquoi ? Alors que la reddition du Japon n’était plus qu’une question de jours…

 

A lire Les poèmes de la bombe, pire que des larmes-lames de rasoir dans la gorge- vous saisit une rage mêlée d’abattement.

Ressurgissent les questions fondamentales :

 

« les chauds rayons d’uranium

qui ont repoussé le soleil

impriment sur la chair du dos des vierges

le motif fleuri d’une soie fine,

mettent instantanément en feu

la robe noire d’un prêtre

1945, Aug.6

En ce minuit en plein midi

l’homme à coup sûr a livré Dieu

aux flammes

Cette nuit

la lumière en flammes de Hiroshima

se reflète sur le lit de l’humanité ;

avant longtemps l’histoire

aura tendu une embuscade

à tout ce qui ressemble à Dieu »

 

Merci aux éditions Laurence Teper d’avoir publié ce chef d’œuvre

Chef d’œuvre magnifiquement et tragiquement illustré à la manière de ces ombres figées sur un mur, ombres photographiques générées par l’explosion nucléaire, ou par ce corps carbonisé d’une femme figée, en pleine course, en tenant son bébé.

L’impensable, l’innommable horreur de la barbarie humaine.

 

Jean-Luc