Redécouvrir Panaït Istrati et son œuvre.

Redécouvrir Panaït Istrati et son œuvre.

Mais qui était donc Panaït Istrati ?

Il naît en 1884 à Braïla, petit port roumain, d’une mère blanchisseuse et d’un père contrebandier qu’il n’a pas connu.

Dès « l’âge de douze ans, il brûle de parcourir le monde, d’aventures : « poussé par le besoin dévorant de connaitre et d’aimer. Vingt ans de vie errante, d’extraordinaires aventures, de travaux exténuants (…) traqué par les gardes de nuit, affamé, malade, possédé de passions et crevant de misère. Il fait tous les métiers : garçon de café, pâtissier, (…) manœuvre, terrassier (…) peintre en bâtiment, journaliste, photographe… Il se mêle, pendant un temps, aux mouvements révolutionnaires. Il parcourt l’Egypte, la Syrie, Jaffa (…) le Liban, l’Orient, la Grèce, l’Italie, fréquemment sans un sou (…) il est dénué de tout, mais il emmagasine un monde de souvenirs »[i]

En 1916, Panaït Istrati contracte la phtisie et séjourne dans un sanatorium suisse où il y rencontre un intellectuel juif, d’ascendance roumaine, Josué Jéhouda qui lui apprend le français. » Istrati avait le don des langues, il parlait déjà le roumain bien sûr, mais aussi le turc et le grec. Il apprend donc le français, langue née du latin comme sa langue natale, avec d’autant plus de facilités.  J. Jéhouda le fait travailler sur des articles de Romain Rolland qui fait entendre son cri d’horreur contre la boucherie de la guerre déclenchée en 1914. Istrati fut transporté.

Rétabli, P. Istrati reprend ses errances autour de la Méditerranée changeant d’endroit et de métier sans cesse et commence à écrire en français. Il envoie son manuscrit à R. Rolland qui ne le reçoit pas.

 

  1. Istrati erre dans l’Europe alors à feu et à sang 

Rattrapé par la misère, malade et seul, début 1921, P. Istrati, désespéré, se tranche la gorge dans un jardin public.

« Il ne mourut point. Alerté par les articles de presse, un vagabond de ses amis accourut à son chevet et trouva sur lui sa lettre -fleuve pour Romain Rolland. Elle parvint, cette fois, à la bonne adresse »[ii]

Romain Rolland voyant chez P. Istrati « un don éclatant majeur » l’encouragea à écrire en français et l’aida à publier ses romans, Kyra Kyralina, Oncle Anghel, Présentation des Haïdoucs, Domnitza de Snagov qui constituent le cycle des Récits d’Adrien Zograffi.

Conteur extraordinaire, Panaït Istrati, n’en finit pas de nous éblouir par son écriture, sa poésie, sa révolte ; son sens de l’amitié, de la tendresse humaine ; son ode à la liberté, au refus de l’oppression… Pour mieux comprendre, il suffit de lire la préface de Joseph Kessel, un petit bijou, qui ne peut que nous entraîner à lire Panaït Istrati.

Mais P. Istrati ne fut pas seulement un merveilleux conteur, il fut un défenseur passionné de la Révolution d’Octobre17. Ami de son compatriote C. Rakovski[iii], ambassadeur d’URSS en France, il est invité officiellement à Moscou. Il y va comme le croyant à la Mecque… Mais voilà il y retourne avec sa femme Bilili, en compagnie de son ami Nikos Kazantzakis (l’auteur de Zorba le Grec) et de son épouse Eleni Samios-Kazantzakis.[iv] Le voyage n’a rien d’officiel.

« Il voyage seul, à travers l’immense URSS, s’arrêtant dans les villages, interrogeant les gens ? Nous sommes en 1928, au moment le plus terrible de la collectivisation des campagnes. Son œil aigu de vagabond, son cœur de révolté saigne devant les faits terribles qu’il constate. L’indignation ne le quitte plus devant ce spectacle des « exploiteurs d’un peuple » de ces « poux qui dévorent la Révolution ».[v]

De retour il publie « Vers l’autre flamme » acte d’accusation implacable contre le régime stalinien. Ainsi bien avant Boris Souvarine, Victor Serge, Arthur Koestler et André Gide, P. Istrati aura décrit une URSS en proie « à la racaille militante ».

Il le paiera cher, insulté, calomnié par ses anciens amis[vi], il aura de plus en plus de mal à être édité.

Réduit à la misère, il se réfugie dans son pays. Il meurt de la tuberculose en 1935 à Bucarest vilipendé par les communistes qui le traitent de » fascistes » et par les fascistes qui le traitent de « cosmopolite ». Lui qui dans les dernières années de sa vie avait publié dans la revue « La croisade roumaniste » des articles dénonçant les injustices sociales de son temps. 

Redécouvrir P. Istrati, aujourd’hui, c’est redécouvrir le monde coloré et chantant des Balkans et du Moyen-Orient au tournant des années 1900 et toute une page d’histoire. C’est aussi rendre hommage à un grand humaniste et lui rendre justice.

Jean-Luc

 

 

 

[i] Préface de Romain Rolland à Kyra Kyralina in « les récits d’Adrien Zograffi » Gallimard.

[ii] Préface de Joseph Kessel aux « Récits d’Adrien Zograffi » Gallimard

[iii] Révolutionnaire, internationaliste, ami de Jaurès, Luxembourg Lénine, Trotski…ayant occupé de hautes fonctions, fut déporté, libéré puis exécuté en 1941 sur ordre de J. Staline.

[iv] Eleni Samios-Kazantzakis publiera en 1937, « La véritable tragédie de Panaït Istrati », livre suivi de correspondances entre Istrati, Kazantzakis et Victor Serge- Nouvelles Editions Lignes.

[v] Préface de Marcel Mermoz à « Vers l’autre flamme » Editions 10/18

[vi] Parmi ses plus féroces détracteurs H. Barbusse, directeur littéraire de L’Humanité qui le traitera de « nationaliste antisémite » et de traitre. Barbusse auteur en 1935 d’une biographie élogieuse de Staline : « Staline, un monde nouveau vu à travers un homme »