Shlomo Sand

COMMENT LE PEUPLE JUIF FUT INVENTE

DE SHLOMO SAND

 

Grâce ou plus exactement à cause de la pandémie, j’ai pu relire quelques livres fort intéressants.

A l’heure de discours -non dénués d’arrières pensées politiques- sur l’islamo gauchisme, pendant « moderne » du judéo bolchévisme ou du judéo maçonnique, il ne manque pas de sel de vous présenter le livre de Shlomo Sand.

Alors, n’hésitons pas.

 

L’histoire est connue : le peuple juif existe depuis qu’il a reçu la Thora dans le Sinaï et s’est fixé -à la sortie d’Egypte- sur la terre promise où fut édifié le glorieux royaume de David et Salomon.

Ce peuple a été exilé à deux reprises, a connu l’errance pendant deux mille ans, avant de retrouver son antique patrie.

Justes, alors, étaient les guerres menées pour reprendre possession de sa terre….

 

Passant en revue le concept de nation, se livrant à une passionnante et érudite – et partant difficile- analyse de toute l’historiographie du judaïsme (de Flavius Joseph à Théodor Mommsen, Heinrich Graetz, Doubnov Simon en passant par Salo Baron), Shlomo Sand nous montre que cette histoire s’est construite sur le modèle des histoires nationales en Europe, et notamment en Allemagne :

« A l’image d’autres tendances « patriotiques » de l’Europe qui se tournaient vers un âge d’or fabuleux grâce auquel elles se forgeaient un passé historique  […] les premiers tenants de l’idée d’une nation juive se tournent vers la lumière éclatante qui irradiait du mythologique royaume de David. »

 

A l’aide d’innombrables disciplines  (sociologie, archéologie, linguistique, géographie…) cet historien, juif d’origine polonaise, professeur à l’université de Tel Aviv, nous livre une brillante et décoiffante critique des mythes fondateurs d’Israël.

A l’instar de Spinoza qui écrivait : « Il est plus clair que le jour […] que ce n’est pas Moïse qui a écrit le Pentateuque, mais bien un autre écrivain postérieur à Moïse de plusieurs siècles », il considère que la Bible ne peut être considérée comme un livre d’histoire.

Il considère que la sortie d’Egypte est un mythe, que le grand royaume de David et Salomon n’a pas existé.

Il considère, également, qu’il n’y a pas eu d’exil massif après la destruction du deuxième temple de Jérusalem en 70 après Jésus Christ, pour une simple raison : les Romains n’ont jamais exilé des nations entières, tout au plus quelques dizaines de milliers de prisonniers.

Et c’est pourtant ce qui fonde l’idée de Diaspora dans l’histoire des Juifs.

La majorité de la population juive a continué à vivre sur ses terres, et lors de la conquête arabe, au VIIe  siècle, une grande partie d’entre elle se rallia à l’Islam.

Ce n’est pas le moindre des paradoxes du livre : les Palestiniens seraient, alors, les vrais descendants  « génétiques » des Hébreux. De quoi se faire retourner dans leur tombe aussi bien Yasser Arafat que Menahem Begin.

Le plus étrange, c’est que cette thèse était aussi celle de David Ben Gourion et Yitzhac Ben-Zvi dès 1918. Elle fut ensuite abandonnée peu à peu pour des raisons évidentes mais très politiques.

 

Mais si la majorité des Juifs ne s’est pas exilée, comment expliquer les nombreuses communautés juives de par le monde ?

S.Sand explique que la foi en Yahvé  se transforma en un monothéisme prosélyte au cours de sa rencontre avec l’Hellénisme : les Hasmonéens avaient déjà converti de force les Iduméens du sud de la Judée et les Ituréens de Galilée ; partant le judaïsme essaima dans tout le Proche-Orient et sur le pourtour méditerranéen.

Mais la conversion ne s’arrêta pas là. S. Sand nous raconte le royaume juif  d’Adiobène (dans l’actuel Kurdistan), le royaume de Himyar (Yémen), les tribus berbères  converties avec à leur tête, la légendaire reine Dihya El-Kahina qui tenta d’enrayer la poussée arabe. Des berbères judaïsés vont, par la suite, prendre part à la conquête de la péninsule ibérique et poser les bases de la culture hispano-arabe future               

Il nous raconte aussi la conversion du grand royaume Khazar dans le Caucase entre Mer noire et Caspienne et qui s’étendait de Kiev au Nord-Ouest jusqu’à la Crimée au sud, de la Volga à la Géorgie actuelle. Royaume qui sous la poussée des invasions mongoles du XIIEME  siècle s’effondra ; effondrement qui sera à l’origine d’une fuite des populations vers l’est de l’Europe. Là, avec les Juifs entre autres des territoires allemands, ces populations fonderont les bases de l’immense culture yiddish.

 

 

Bref, les Juifs des nombreuses communautés juives ne seraient pas les descendants des hébreux mais ceux des peuples convertis.

Jusque dans les années 60, ces origines plurielles des Juifs figuraient dans l’historiographie israélienne ; elles, sont aujourd’hui gommées, évacuées du discours central. Pourquoi ?

S.Sand  avance, entre autres, une explication : « la peur profondément enracinée d’une atteinte à la légitimité de l’entreprise sioniste, au cas où il se révélerait que les colons juifs n’étaient pas les descendants directs des « fils d’Israël », fut renforcée par la crainte que cette contestation de légitimité n’entraîne la mise encause générale du droit à l’existence de l’Etat d’Israël »

 

[1]  On peut lire avec un grand intérêt  La treizième tribu, d’Arthur Koestler, enquête passionnante sur l’Empire Khazar (1ere  parution 1976. Réed. Tallandier, coll. Texto, 2008)

 

L’historien Tom Segev, dans le célèbre journal « Haaretz », écrit : « Selon Sand, le besoin des sionistes de s’inventer une ethnicité partagée et une continuité historique a produit une longue série d’inventions et de fictions, ainsi que le recours à des thèses racistes. Certaines ont été concoctées dans l’esprit de ceux qui ont conçu le mouvement sioniste, tandis que d’autres ont été présentées comme les conclusions d’études génétiques menées en Israël… »

Ainsi, selon ces études qui visent à justifier le sionisme, les Juifs seraient porteurs de caractéristiques biologiques spécifiques : il y aurait un sang juif, un gène juif.

Sand précise : « Ainsi donc, Hitler écrasé militairement en 1945, aurait en fin de compte remporté la victoire […] L’histoire n’en est pas à une ironie près : il fut un temps en Europe où celui qui affirmait que les Juifs, du fait de leur origine, constituait un peuple étranger était désigné comme antisémite. Aujourd’hui, à contrario, qui ose déclarer que ceux qui sont considérés comme Juifs dans le monde ne forment pas un peuple ou une nation en tant que telle se voit immédiatement stigmatisé comme « ennemi d’Israël »

 

Bref, ce livre qui a suscité de nombreux débats orageux en Israël même, est devenu par le monde un best-seller qu’il ne faut pas manquer de lire.

Verra-t-on surgir à son propos l’accusation d’Islamo gauchisme, brandie par ceux qui défendent certaines conceptions  mais qui veulent interdire à d’autres de s’exprimer ?

Alors les universités, par exemple, au lieu d’être des lieux de progrès, de savoirs et de connaissances ne seraient que des lieux d’approbation de la parole officielle.

Bel obscurantisme en perspective tant il est vrai qu’il n’y a de recherche que critique : les débats vifs et contradictoires sont essentiels au progrès des connaissances.

Ne l’oublions jamais.

 

 

Jean-Luc.